Passe et impasse au centre ?

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Passe et impasse au centre ?

Au Rugby, la passe est autant l’arme que l’art suprême du collectif.
Elle est une manière de s’unir, un fil invisible qui relie les joueurs sur le terrain comme dans la vie.

« La passe, dit Jean Trillo, devient un trait d’union afin de n’être plus qu’un. Ce ballon qui passe de main en main, ce ballon porteur d’allégresse, de bonté, d’amour de l’autre, finit par réunir les êtres au point de les confondre. C’est l’extase, l’acte suprême dans l’amour physique, la jouissance pure. C’est encore pour un instant la défaite de la solitude, de l’individualisme, de la bêtise. C’est un acte que l’on a envie de prolonger indéfiniment. » Belle inspiration !

Pour autant, il n'est pas faux de dire que le Rugby actuel (et notamment français) souffre d’une carence en passe au point de créer une impasse dans le jeu. Certes, on coure plus vite, on lance plus loin, on tape plus fort, mais on a le plus grand mal à aligner deux passes de suite dans le bon timing. Le ballon – ce présent pourtant le plus précieux – se retrouve maintes fois au sol ou balancé aveuglément vers l’arrière en espérant trouver preneur. Pour ceux qui, éventuellement, mesureraient la qualité des passes à leur longueur, il ne faut pas confondre le fait de savoir faire une passe vissée de plus de 30 mètres (laquelle se trouve à la portée de n’importe qui ou presque) avec l’acte d’offrir le ballon à son partenaire au bon moment et avec le geste juste, afin qu’il puisse continuer à faire vivre l’action (peu de candidats ici…).

L’impasse actuelle devient criante quand on observe l’évolution du poste de trois-quart centre dans le Rugby moderne. Joueurs au profil herculéen et à la mentalité du «rentre-dedans», les centres – 12 et 13 – endossent dorénavant la fonction de troisième ligne : percussions à outrance et raffuts sur l’adversaire pour tenter de franchir la ligne d’avantage. De fait, percer la défense adverse en allant tout droit ballon en main semble correspondre à l'obsession du moment. A contrario, redresser sa course pour attirer l’adversaire à soi, cadrer et donner le ballon à l’équipier (qui n’a plus de vis-à-vis) devient aussi rare que difficile à réaliser pour des joueurs manquant cruellement de bagage technique. On assiste donc, et quasi systématiquement, au cadrage maximum, à savoir une percussion impétueuse au centre de la ligne des trois-quarts pour finalement se retrouver au sol ou, dans le meilleur des cas, debout mais avec un ballon prisonnier des bras de l’adversaire. Et, pendant ce temps là, le jeu est encore arrêté…

L’époque des Boniface, Maso, Gachassin, Codorniou, Sella, Charvet est bien révolue... En équipe de France comme ailleurs, les centres sont désormais les bien nommés "coffres à ballon". Non seulement ils ont les plus grandes peines du monde à faire une passe sur un pas ou à créer l’intervalle en cadrant leur adversaire direct, mais ils ont cette tendance détestable à enterrer le ballon et donc l’action.

Passe et impasse au centre ?

Sans vouloir fustiger personne, l’exemple de Mathieu Bastareaud est des plus symptomatiques concernant l’évolution de ce poste. Formidable défenseur et gratteur de ballon dans les rucks (comme un troisième ligne digne de ce nom), son jeu de passe est cependant extrêmement faible et limité. Et pour cause : neuf fois sur dix, il percute son adversaire ballon en main. N’en déplaise à certains commentateurs qui s’ébahissent quand ce joueur parvient à franchir de quelques mètres la ligne d’avantage – confondant sans doute le Rugby à XV avec le XIII – il n'en reste pas moins vrai que Bastareaud n'est et ne sera jamais un trois-quart centre d'envergure...

Alors, évidemment, face à l’inflation musculaire qui existe de façon aussi suspecte qu’inquiétante dans ce sport, les sélectionneurs auront tendance à choisir ce profil de joueur par crainte de ne pas tenir le choc en défense et de manquer de percussion en attaque, mais l’erreur se trouve peut-être ici. Car, précisément, un joueur plus véloce, plus explosif avec une vitesse d’exécution au-dessus de la moyenne, sera peut-être plus à même de faire la différence en attaque dans une ligne de trois-quarts, tout en assumant des besognes défensives. Au poste d'arrière, l’exemple de Brice Dulin, physique relativement modeste, n’est-il pas une manière de s’en convaincre ? Thomas Castaignède se rappelle également à notre bon souvenir...

N’oublions pas que le Rugby a cette particularité : il est un sport de combat collectif dans lequel les joueurs « fins » ont toujours su apporter un plus à l’équipe. Chacun pourra dresser sa propre liste et se remémorer les cadrages débordements fulgurants ou les passes éclairs de ces joueurs qui ont marqué l’histoire de ce jeu au poste de trois-quart centre.

En haut André Boniface. Photos du centre, de gauche à droite : Jo Maso, Jean Gachassin, Didier Codorniou. En bas à gauche, Denis Charvet. A droite, Philippe Sella.
En haut André Boniface. Photos du centre, de gauche à droite : Jo Maso, Jean Gachassin, Didier Codorniou. En bas à gauche, Denis Charvet. A droite, Philippe Sella. En haut André Boniface. Photos du centre, de gauche à droite : Jo Maso, Jean Gachassin, Didier Codorniou. En bas à gauche, Denis Charvet. A droite, Philippe Sella. En haut André Boniface. Photos du centre, de gauche à droite : Jo Maso, Jean Gachassin, Didier Codorniou. En bas à gauche, Denis Charvet. A droite, Philippe Sella.
En haut André Boniface. Photos du centre, de gauche à droite : Jo Maso, Jean Gachassin, Didier Codorniou. En bas à gauche, Denis Charvet. A droite, Philippe Sella. En haut André Boniface. Photos du centre, de gauche à droite : Jo Maso, Jean Gachassin, Didier Codorniou. En bas à gauche, Denis Charvet. A droite, Philippe Sella.

En haut André Boniface. Photos du centre, de gauche à droite : Jo Maso, Jean Gachassin, Didier Codorniou. En bas à gauche, Denis Charvet. A droite, Philippe Sella.

Tous ces rugbymans avaient en commun l’élégance et la grâce quand ils courraient ballon en main ou l'offraient à un partenaire. Offrande de ce "jeu" vers l'autre... Leurs esquives étaient une danse subtile et mystifiante. Funambules, équilibristes, le jeu réclame aujourd'hui le retour de ses artistes sous peine de le condamner à un gagne terrain sans intérêt... À l’heure des caterpillars dans le Rugby et de la déroute française en Australie, de son incapacité à proposer du jeu, avec cette lenteur et maladresse quasi pathologiques dans les passes et la transmission, ne serait-il pas le moment de reconsidérer la question au sein même de la sélection et de la formation ?

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G
Ah !!! que j'aime cet article
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