Australie : le test-match du cœur

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Australie : le test-match du cœur

Le premier test-match contre l’Australie à Brisbane s’est soldé par une large défaite (50 à 23), la deuxième plus lourde en terre australienne (la première étant sous l’ère Marc Lièvremont, 43 à 10 en 2008). Le XV de France a été dominé dans tous les secteurs du jeu, tant sur le plan individuel que collectif. Face aux Wallabies, qui n’ont eu pourtant que cinq petits jours de préparation, les français sont apparus empruntés, lents et sans cohésion véritable, laxistes en défense, maladroits et désorganisés en attaque...

Bref, ce fut un match totalement raté, frisant le ridicule. L’Équipe titrant le lendemain de cette défaite :

Les Coqs en slip chez les kangourous

Les experts ne manqueront sans doute pas de mettre à jour le cahier des doléances vis-à-vis du sélectionneur et de son projet de jeu – il faut bien le reconnaître – aussi incertain que balbutiant. Ou, encore, de soulever une problématique réelle quant au niveau des joueurs français compte tenu du fait que les grands clubs du TOP 14 sont aujourd’hui composés majoritairement de joueurs étrangers (pour la finale Toulon-Castres du 31 mai dernier, seuls onze joueurs français se trouvaient sur le terrain).

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Il est quand même symptomatique et très inquiétant que l’on titularise Frédéric Michalak à l’ouverture en équipe de France alors qu’il n’est pas titulaire dans son club au moment des phases finales du championnat de France et de la finale de la HCUP ! À ce rythme, et sans vouloir faire injure au talent incontestable de ce joueur, l’équipe de France va-t-elle devenir le club des réservistes des cadors du TOP 14 ?

Par-delà la polémique, et toujours en essayant de rester positif et constructif, cette défaite cinglante doit servir de révélateur sur les manques de cette équipe. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, sa défaillance repose peut-être moins sur sa faiblesse technique et tactique, son manque de fraicheur que sur l’absence d’un esprit vivifiant de camaraderie, de sacrifice, de respect et d’exemplarité. Tous les grands joueurs, sélectionneurs et capitaines vous le diront : gagner en Australie, en Afrique du Sud ou en Nouvelle Zélande – à l’autre bout du monde dans des conditions le plus souvent extrêmes – repose, certes, sur la qualité des gars sur le terrain mais, peut-être, plus fondamentalement encore, sur le lien d’amitié qui existe entre eux, c’est-à-dire sur la capacité à se sacrifier pour le copain, à donner le meilleur de soi pour le capitaine, le sélectionneur…

Petit rappel historique et chronologique pour s’en convaincre :

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Le 16 août 1958, le capitaine Lucien Mias conduisit l’équipe de France qui va battre pour la première fois de son histoire les Springboks sur leur terre, à Johannesbourg, par 9 à 5. Lucien Mias, dit Docteur Pack (d’une part parce qu’il était médecin – il termine major de sa promotion à la faculté de Médecine de Toulouse –, et parce qu’il fut un avant de grande lignée, faisant évoluer le jeu d’avant comme peu de joueurs avant lui) était un homme et un capitaine sensible, sincère et droit. Il avait fait découvrir à l’équipe de France la vertu et la nécessité d’une soumission absolue à une discipline collective. Il fallait être, avec lui : un pour tous et tous pour un ! La règle majeure était de se mettre au service de la collectivité et d’éteindre toute envie de briller. Ce premier exploit en Afrique du Sud ne venait pas de nulle part. Un capitaine avait su montrer la voie en soudant les joueurs autour de lui…

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Le 25 juillet 1964, à Springs, sous le commandement de Michel Crauste, dit Attila ou Le Mongol, la France récidive en battant les springboks par 8 à 6. Fantastique avant de combat dans les corps à corps, comme dans les phases de plein champ, dévoreur de terrain et brillant finisseur, Michel Crauste était l’un des premiers troisième ligne – et des plus flamboyants – à quitter précocement la mêlée pour se lancer dans des attaques au large avec qui pouvait le suivre.
En tant que capitaine, il était exemplaire. Un jeune apprenti de l’époque, qui commençait ses classes au niveau international, du nom de Walter Spanghero, disait en parlant de lui: « Il incarnait la gentillesse. On se serait fait hacher menu pour ne pas le décevoir ! » En ce jour du 25 juillet, ce fut bien le pack sud-africain qui fut haché menu…

Australie : le test-match du cœur
Australie : le test-match du cœur

Le 14 juillet 1979, l’équipe de France bat pour la première fois de son histoire les all Blacks sur leur terre, à Auckland, par 24 à 19. À la tête de cette équipe se trouve, là encore, un joueur et un capitaine d’exception : Jean-Pierre Rives. Surnommé Casque d’Or par Roger Couderc, son abnégation et son courage sur tous les terrains du monde le font rentrer de plain-pied dans la légende du Rugby mondial. On disait de lui qu’il mettait la tête dans les regroupements là où les autres n’osaient pas même mettre les pieds… En ce jour de 14 juillet et de Fête Nationale, on célébra l’amitié et l’amour de ce jeu, un match mythique et historique écrit par une bande de copains et marqué du sceau de la générosité car, comme le disait Rives : "Le Rugby c’est comme l’amour, il faut donner avant de prendre."

Jean-Pierre Rives en 1987 dans ce match mythique contre les Blacks

Jean-Pierre Rives en 1987 dans ce match mythique contre les Blacks

Le 13 juin 1987, la France bat l’Australie en demi finale de Coupe du Monde (1ère édition), à Sydney par 30 à 24. Cette victoire en terre Wallabies n’est pas la première – en 1961, sous les ordres du capitaine Crauste, la France bat l’Australie par 15 à 8 –, mais elle constitue un succès qui marque à jamais le Rugby français, avec notamment cet essai collectif magnifique et victorieux dans les dernières minutes de jeu conclu par Serge Blanco.

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De très grands joueurs composent cette équipe commandée par Daniel Dubroca mais c’est Jacques Fouroux dit le « petit caporal » qui dirige les opérations en tant que sélectionneur. Joueur et entraineur au centre de toutes les polémiques durant sa carrière, le « mal aimé » du Rugby français permit pourtant de réaliser deux Grands Chelems (1981 et 1987) avant de qualifier cette même équipe pour la finale de la Coupe du Monde contre les All Blacks (perdue 29 à 9, le 20 juin 1987 à Auckland). Capitaine en son temps de l’équipe de France qui réalisa également le Grand Chelem en 1977, il fut, à n’en pas douter, par son charisme et sa culture d’un Rugby ancré dans l’esprit de famille, l’instigateur de cette victoire immense contre les Wallabies en demi finale...

Quatre victoires historiques qui restent dans la mémoire et les annales du Rugby français et international. Au-delà des époques et de l’évolution du jeu, ces victoires montrent que c’est le lien affectif entre les joueurs qui, au final, fait les grandes équipes. Aujourd’hui comme hier, ce lien d’amitié, de fraternité est créé, maintenu, consolidé par la capacité du groupe à traverser les épreuves, mais il est surtout rendu possible par la présence d’un homme d’exception – joueur, capitaine ou sélectionneur. Celui-ci, par son exemplarité et son charisme, permet à chaque individu de se livrer sans arrière pensée, de se dépasser, de se sacrifier pour la cause commune. Que ce soit en équipe de France ou en 4eme série, il en est ainsi : le Rugby, c’est d’abord une histoire de copains et de générosité qu'on expérimente et retrouve ensuite dans la vie. Car, dans toute épreuve, quelle qu’elle soit, seuls l’amour et un cœur énorme permettent la victoire finale. C'est la leçon cardinale de ce sport...

Australie : le test-match du cœur

Il reste maintenant deux tests-matches au XV de France pour tenter de signer une victoire de prestige contre les Wallabies. Souhaitons évidemment ce succès ! Thierry Dusautoir devrait faire son retour en tant que capitaine (c'est confirmé ce jour). Lui qui n’a jamais gagné contre l’Australie (la seule victoire qui manque à son palmarès) aura à cœur d’engager le combat en créant – espérons-le – ce lien indispensable entre les joueurs pour hausser le niveau de l’équipe, comme il avait su le faire contre les Blacks lors de la dernière finale de la Coupe du Monde (perdu 8 à 7, le 23 octobre 2011 à Auckland). C’est le moment de montrer, qu’à légal de ceux qui ont conduit l’équipe de France à de grandes victoires dans l’hémisphère sud, qu’il est le capitaine qu’on attend, capable de redonner l’énergie, l’envie et l’esprit de conquête à cette équipe, de transcender chaque joueur pour le collectif. La victoire se trouve à cette seule condition et c'est pourquoi ce test-match sera d'abord l'épreuve du cœur.

Le 14 juin 2014 ... Une nouvelle page à écrire ?

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